dimanche 7 novembre 2021

Communication sur la conférence des Jeunes Agents du Changement de l’Union Africaine sur l’agenda jeunesse, la paix et la sécurité – Défis et perspectives pour la RDC (Contribution de JAMAA Grands Lacs)


Introduction

Aborder la question de la paix et de la sécurité en RDC est une entreprise aussi complexe que laborieuse. Tant, la question est plurielle et multidimensionnelle dans ses causes, ses mécanismes d’autorégulation et ses conséquences sur le tissu social, la politique, le culturel et l’économique. Nous nous proposons dans cette intervention d’élucider les bases à partir desquelles la réalité des conflits, des guerres, de la violence et de fissuration dans la partie Est de la RD Congo se construit ; les issus évidentes et probables à laquelle elle a débouché jusqu’alors ; ainsi que les horizons d’engagement pour naître à un nouvel avenir plus stable, plus convivial, au cœur d’une « Afrique pacifique et sûre », pour reprendre l’aspiration 4 de l’agenda 2063.

Fondements

Quand on analyse la question de la paix et de la sécurité à l’Est de la RDC avec un regard avisé d’observateur direct des réalités sociales en cette partie du pays, trois sources d’analyses ressortent le plus souvent pour saisir les bases à partir desquelles naissent et émergent la déstabilisation et la fissuration sociale en cette partie. Il s’agit notamment :

a) Source communautaire.

Il s’agit ici d’une analyse du jaillissement de la guerre, du conflit et de la violence à partir du terreau social. Dans ce que ce terreau a comme éléments d’appuis à la survenu et l’entretien de la déstabilisation, et de la cassure des liens intercommunautaire harmonieux.

La zone Est de la RDC composée essentiellement d’une multitude de tribus et d’un diorama d’ethnies, elle constitue un maillon dont la diversité offre une véritable force de grandeur, d’inter enrichissement et de beauté en partage. Pourtant, cela n’a toujours pas été le cas. Il s’observe de plus en plus des truismes conflictuels et conflictogènes qui ne cessent d’opposer les communautés entre elles, les ethnies entre elles ; avec le mobile des groupes armés d’autoprotection pour les tribus, et dont la soi-disant protection finie malheureusement par être une lutte sanglante contre l’autre ou contre les autres.

Ce qui fait qu’il est facile d’associer à la majeure partie des groupes armés actifs dans la région une tribu. L’Alliance des Patriotes pour le Congo Libre et Souverain APCLS pour le Hunde dans le territoire de Masisi, Nduma Defense of Congo/NDC d’obédience Nyanga dans le Walikale, Mai-Mai Nyatura d’obediance Hutu né dans le territoire de Masisi comme réponse aux bergers Tutsi qui faisaient paître leurs troupeaux dans les champs des paysans Hutu. Au Sud-Kivu, les Mai Mai Yakutumba basé dans la forêt de Hewa Bora, de Ngandja et vers Kilembwe dont les éléments sont issus d’une coalition entre les Bafulero et les babembe, le Gumino à Minembwe et Twiraneho à Balala Nord d’obédience Banyamulenge. En Ituri, Union des Patriotes congolais/UPC pour les Hema nord et le Parti pour l’Unité et la Sauvegarde de l’Intégrité du Congo/PUSIC pour les Hema sud, le Front Front des Nationalistes Intégristes/FNI pour les Lendu nord et le Front de résistance Patriotique de l’Ituri/FRPI pour les Lendu Sud, le plus connus et plus actif ce dernier temps c’est CODECO qui historiquement était une coopérative  des Lendu d’Irumu (les Ngiti) fondée en 1978 par des jeunes Lendu éduqués et localisés dans la chefferie de Walendu Bindi. La CODECO œuvrait au départ pour le développement de la communauté Ngiti en produisant une grande partie des biens alimentaires  et du charbon de bois pour le marché de Bunia. C’est en 2018 que cette coopérative avait enclenché des attaques armées en visant particulièrement les bétails des éleveurs Hema, notamment dans les chefferies de Bahema-Nord, Bahema-Badjere et Walendu Pitsi dans le territoire de Djugu.

Il s’est ainsi développé comme une sorte de communautarisme exclusif, d’enfermement en soi et sur soi, où l’autre n’est tout simplement pas le bienvenu, et quand on ose tendre sa main et ouvrir ses bras à lui c’est souvent avec maints préjugés, stéréotypes et suspicions. C’est plus les relations de peur et de caricature de l’autre qui se construisent entre individus et entre communautés.

Les enfants qui naissent se retrouvent confrontés à une double réalité : Celle d’alliance naturelle avec l’historique de leur lignée familiale. Pour ces familles qui ont été victimes ; cela crée aux générations montantes une espèce de frustration inconsciente, un traumatisme hérité de l’humiliation subie par le passé. Pour les bourreaux, cela crée chez leurs descendances une espèce d’identité traumatique. Le fait d’appartenir à tel ou tel autre groupe ethnique connote directement un tas de meurtrissures identifiables dans l’inconscient collective par « effet de mémoire » de ceux qui sont rattaché à la lignée ethnique en question. Ce qui rend la cohabitation sociale harmonieuse encore plus hypothétique.     

b) Source géopolitique

Il est totalement impossible de saisir la problématique de la question d’insécurité à l’Est de la RDC en omettant le poids des enjeux géopolitiques de la sous-région des Grands Lacs. Il s'agit en premier lieu de l’éternelle et épineuse préoccupation de la gestion des éléments rebelles de FDLR d’origine rwandaise, de ADF-NALU d’origine Ougandaise dans le grand Nord de la province du Nord-Kivu et une partie de l’Ituri, le FNL (Front National de Libération) Burundais dans la plaine de la Ruzizi. Lesquels éléments ont servi pendant certains temps de motif sous-jacent d’entré officiel et/ou officieuse des armées Ougandaises et/ou rwandaises sur le sol congolais dans la visée de leur poursuite. Le comble ce que sont les congolais qui subissent les assauts de ces groupes rebelles, avec la dernière réalité des massacres perpétuels de Beni, dont on ne cesse d’attribuer aux ADF.

Cela est plus encouragé ou favorisé par la gestion calamiteuse des frontières congolaises qui restent tellement poreuses que les gens véreux et les groupes malintentionnés ont la facilité d’entrer et de sortir sans gêne.

c) Source économique

L’Est de la République Démocratique du Congo étant une zone où foisonnent des minerais du sol et du sous-sol, ces derniers sont devenus des mobiles d’alimentation de la guerre et de pimentation des conflits armés. Les spécialistes de la question dans la sous-région Jean Paul Mopo Kobanda, Nicaise Kiebel’Bel Oka, ColletteBraeckman s’accordent sur le fait que la prédation de ces minerais est à l’origine de la guerre de 1998-2003 et plusieurs autres. L’or, le coltan, l’étain, le diamant, le bois sont en première ligne de compte dans les motivations d’ingérence des pays de la sous-région en RDC. Ces minerais alimentent doublement le conflit, en étant à la fois l’enjeu de celui-ci et l’élément moteur de sa pérennité, puisque les groupes armés se financent  grâce à l’exploitation illégale des mines artisanales et des bois en complicité direct et indirect des firmes internationales.

Tout cela touche sur l’effondrement de l’économie des ménages, et l’entretient de la misère sociale et morale des populations de l’Est. Les familles peinent à élever leur niveau de vie socioéconomique suite à une instabilité quasi permanente. Les communautés entières se retrouvent parfois conditionnées à devenir déplacées de guerres et vivre malgré elles dans des camps de réfugié à la merci d’aide humanitaire. À cela s’ajoute le fait que les enfants sont utilisés par les seigneurs des guerres en esclaves dans ces puits de minerai aux conditions inhumaines et avec une gratification dérisoire. Ici et là, c’est la loi de la jungle qui régule tout. Ainsi, les chiffres de femmes violées ne cessent de grimper sous un regard malhabile malheureusement du gouvernement congolais et parfois du silence de la communauté internationale.

Perspective d’actions

Eu égard de ce qui précède, il y a lieu d’ouvrir un certain nombre d’horizons d’engagement et d’actions pour faire naître l’espoir dans ces populations qui ne savent pas à quel saint se vouer.

Une citoyenneté active :

Se fondant sur la résolution 2050 sur la jeunesse, la paix et la sécurité qui reconnait que « les jeunes peuvent jouer un rôle important dans la prévention et le règlement des conflits et, singulièrement, pour ce qui est de la stabilisation, de la capacité d’intégration et de la réussite des activités de maintien et de consolidation de la paix » ; il sera ici question de miser sur l’action des organisations de la société civile, ONG, Asbl, Mouvements citoyens, Groupes d’actions positives, Églises, qui doivent œuvrer a l’ouverture des nouvelles routes du futur. Une double perspective doit être privilégiée : En amont, la création d’une force commune qui porte loin l’écho de supplices des populations de l’Est par une stratégie de plaidoyer tant au niveau des instances nationales et qu’internationales. En aval, la création des espaces de rencontres interculturelles et intercommunautaires qui font rejoindre les diversités des communautés dans un dialogue de vérité pour une culture du vivre-ensemble, du rêver-ensemble, et de l’agir ensemble au compte du présent et de l’avenir. 

De ce fait, il faudrait ainsi privilégier les réseaux à la place de l’agir solitaire. En vue de créer une dynamique de réflexion et d’action des organisations sur la question de la construction et la consolidation de la paix à l’Est. Privilégier l’ouverture à la place de l’enfermement.

Participation :

Le rapprochement entre la jeunesse et l’Etat devient une nécessité, vu qu’elle est la couche la plus visée par les péripéties de la destruction et de la violence. Ces énergies juvéniles devraient être canalisées dans la conception des politiques et stratégies de construction et de consolidation de la paix et la sécurité, plutôt que dans la déstabilisation. Ce qui requiert un cadre permanant de communication sûre entre les jeunes et les décideurs sur leur engagement pour la paix en RDC et dans la sous-région des Grands Lacs.

Redéfinir les stratégies d’accompagnement :

Il s’observe un défi sur le plan d’accompagnement des jeunes engagés dans la dynamique de la consolidation de la paix, le manque de ressources financières pour mettre en œuvre leurs activités d'intervention. Cette contrainte provient en partie de leur incapacité à collecter des fonds, mais aussi en raison de la sensibilisation limitée du public aux incroyables activités innovantes et diversifiées qu'ils mènent dans différents pays du continent. La plupart des groupes de jeunes comptent sur les fonds personnels, les cotisations des membres et seulement une collecte de fonds minimale auprès des individus, des sociétés et de leurs communautés immédiates. Cependant,  ces  fonds  sont  à  peine suffisants pour mener à bien un plaidoyer ou des interventions durables. Malgré cela, il est important de noter que le financement est nécessaire mais certainement pas suffisant pour que les groupes de jeunes  étendent  la  portée  et  la  gamme  de  leurs  activités. Cela appelle à une révision des stratégies d’accompagnement des jeunes engagés pour la cause de la paix dans le pays.

Désengagement et réinsertion :

Pour les groupes armés qui pullulent dans la partie Est, la mise au point d’un fond de démobilisation, désarmement et réinsertion devrait être une des priorités nationales dans le processus de construction de la paix à l’Est. Car il s’avère de plus en plus que les initiatives qui ont été menées dans cette perspectives n’ont pas abouti à des issus un peu plus prometteurs suite à un manque des moyens alloués à cela et un cadre de suivi permanent de cette question. Ce qui fait que des ex combattants désarmés redeviennent plus vite encore des éléments nuisibles, malgré leur volonté de changer de perspective de vie à l’avantage de la nation.  

Nicolas M. SIVIHWA