lundi 8 août 2022

La guérison des mémoires comme pilier de la construction d’une paix sociale authentique et durable.

                                                               

 

Séance de restitution de la formation sur la Guérison des mémoires dispensée par l’Institut pour la Guérison des mémoires (Healing of mémories Luxembourg)

En date du 01 Août 2022, dix-huit acteurs et actrices de la société civile de la province du Nord-Kivu en RDC, tous intervenants dans le domaine de la consolidation de la paix et la transformation des conflits, ont été convié à prendre part à une séance de travail de restitution tenue par JAMAA Grands Lacs en collaboration avec le Groupe Martin Luther King sur le thème « Guérison des mémoires, comme pilier de la construction d’une paix sociale authentique et durable ».

Le facilitateur Mr Christophe MUTAKA, coordonnateur du Groupe Martin Luther King, a rappelé le cadre contextuel dans lequel s’était passé la formation au Benin durant 5 jours sous l’initiative de l’Institut pour la guérison des mémoires (Healingof mémories Luxembourg), crée au Cap en 1998 sous la houlette du père Michael Lapsley. Cet Institut ayant pour vocation de venir en aide aux victimes de diverses formes de violence et d’oppression dans le monde. Dans son exposé, il a rappelé le point de départ du combat du père Lapsley qui a perdu ses mains et un œil dans un attentat au colis piégé au Zimbabwe le 28 avril 1998, juste trois mois après la libération de Nelson Mandela, au motif d’être un élément gênant contre la ségrégation blanche en Afrique du Sud. En tant qu’aumônier blanc de l’ANC en exil, il a été une source de la rancœur du régime d’apartheid.

Mais contre toute attente, son handicap a été une véritable source de force, une motivation indomptable à devenir guérisseur des cœurs et des âmes blessés en quête permanent de soulagement et de paix. Aux heures les plus sombres, dit-il, les forces du bien se sont révélées plus puissantes que les forces du mal : l’apartheid s’est effondré et la justice a triomphé. De la même façon, les gens puisent du courage dans ma propre histoire. La bombe qui n’a pas réussi à me tuer m’a laissé la langue, qui était ma seule arme contre l’apartheid. Mon handicap visible crée une certaine complicité avec d’autres, dont le handicap est souvent moins visible que le mien aussi tout aussi réel. La vérité, c’est que la douleur réunit les êtres humains. Dans le cadre de mon travail de « guérisseur », beaucoup disent qu’ils peuvent avoir confiance en moi car je sais ce qu’est la douleur. Quoi qu’il en soit, en définitive, ce qui importe le plus, c’est de savoir si nous sommes capables de transformer la douleur en force de vie, stipule dans ses mémoires.

Le facilitateur a eu un long moment de questionnement sur les blessures tant individuelles que collectives suivant le contexte de la République Démocratique du Congo, après des décennies des guerres violentes et sanglantes, des massacres de masse silencieusement entretenus au Nord-Kivu, au Sud-Kivu, en Ituri, au Kasaï, au Maniema, etc. et l’impact de tout cela sur la conscience et l’inconscient collectif. Au final, à force de descendre dans les profondeurs de notre être, nous ne cessons de réaliser que presque tous nous sommes malade, insistait-il. Il s’agissait pour lui de mettre en lumière les issus de ces évènements horribles qu’a connu la RD Congo et plus particulièrement l’Est du pays, toutes ces frustrations enfouies, ces réflexes de violences naissant de la mal-digestion du passé, cette intuition bouillante de vengeance à l’intérieur des individus et des communautés.

Face à cet état de choses, la nécessité d’ouvrir un couloir de travail sur les mémoires à l’Est de la RD Congo s’impose, tant pour guérir les hommes et les sociétés de leur passé, que pour se rassurer de mobiliser les forces de résilience partout où elles se trouvent pour construire un autre futur en phase avec le sens d’humanité vrai. Après un débat parfois méditatif, parfois électrique, le facilitateur a conclu son intervention par un vœu d’ouverture d’un champ large de fertilisation et de dissémination de l’approche de guérison des mémoires étant donné le besoin qu’offre la zone Est de la République Démocratique du Congo.

Le coordonnateur de JAMAA Grands Lacs prenant la parole a remercié le facilitateur et les participants, tout en affirmant que cela n’est que l’introduction d’un vaste travail de guérison des mémoires que l’organisation veut amorcer dans la zone orientale de la République Démocratique du Congo.

Beaucoup de participants ont été satisfaits de l’activité, tout en réclamant plus de temps. Pour Merveille Assani, une jeune intervenante au sein du programme de l’Université citoyenne en RDC : « l’activité a été une belle occasion de rencontre, de dépassement de soi après l’audition des témoignages et des expériences des autres sur leur passé »

Pour la jeune psychologue de l’organisation Handicap Internationale, Nadine Rugishi, « cette activité a été très enrichissante, elle m’a offerte d’autres pistes à explorer dans mon travail que je fais avec tous ces gens en besoin d’assistance et d’accompagnement psychologique suite aux traumatismes subis après des tensions ».

info@jamaa-grands-lacs.org

La gestion constructive des conflits : outils et méthodes.

Photo d’ensemble après l’activité avec le formateur professeur Étienne CHOMÉ, fondateur de la méthode C-R-I-T-E-R-E.

Du Jeudi 28 juillet au Samedi 30 juillet l’école Internationale Communic
Actions en collaboration avec JAMAAGrands Lacs et le Groupe Martin Luther King ont tenu un séminaire de formation sur la méthode C-R-I-T-E-R-E, la communication et la négociation efficace pour mieux gérer les conflits sous la facilitation du professeur Étienne CHOMÉ, chercheur à l’Université catholique de Louvain et professeur à l’Institut International Lumen Vitae à Bruxelles. Quinze participants venus généralement des structures non gouvernementales y ont pris part.

Loin d’être seulement théorique cette formation a été une réelle possibilité d’entrer dans un processus d’expérimentation pratique des outils d’analyse des conflits, dans leurs causes profondes, de proposition et de construction des compétences pour s’en extraire et des effets qui adviennent des approches mises sur pied pour cette gestion dite constructive des conflits.

Pour ce qui est des causes de conflits selon la perspective de la méthode C-R-I-T-E-R-E, trois grandes orientations se dégagent, notamment : la présence des structures déficientes, des vécus dévalorisés, ainsi que des intérêts divergents.

Pour ce qui est des structures déficientes, il s’agit d’un dysfonctionnement institutionnel, un déficit organisationnel, une faille dans la loi, une crise des règles du jeu absentes ou imprécises, inadaptées, une divergence dans leur compréhension et l’impunité à les transgresser. Regarder sous cet angle, le conflit devient une émanation du désordre qui s’érige en norme sociale. Faisant de la société un lieu de libertinage, où chacun rame de sa manière, selon ses dispositions psychologiques et émotionnelle, ce qui crée une sorte de collision frontale débouchant à des antagonismes parfois violents. Il ressort que dans la plupart des pays où les conflits sont une réalité mal gérée des vécus des peuples c’est bien souvent suite à ce disfonctionnement institutionnel, à cette crise de règlementation. Une réglementation en laquelle les individus s’identifient, s’approprient pour une régulation positive, constructive, et harmonieuse de leurs vécus en tant que communauté de destinée. Le mal de la sous-région des Grands Lacs et particulièrement de la République Démocratique du Congo a pour source ce déficit structurel.

Parlant des vécus dévalorisés, cela s’apparente aux jugements, aux reproches, aux exigences, fruits amers de frustrations et de rancœurs. Les démotivations et les complications relationnelles qui s’enracinent dans un manque de respect des personnes, de leur dignité ou de leur identité, la dévalorisation de leurs valeurs, la non-reconnaissance de leurs besoins, le refus d’écouter leurs préoccupations. Ceci fait que le maillon social se fragilise par le fait que les individus sont constamment mal à l’aise et toujours en opposition les uns contre les autres. De ce sentiment de non écoute des besoins qui vibrent dans le fond des individus naît ce sentiment de frustration qui débouche à la recherche des lieux de décharges morale, des lieux d’expression de ces voix étouffées. Cela fait dans le cas spécifique de la République Démocratique du Congo que la naissance et l’entretien des groupes armés où se nourrit la violence au nom de la protection des identités et la quête de reconnaissance soit une réalité sociale réelle et quasi-permanente. En majorité, sont les jeunes qui alimentent ces groupes armés, parce que de plus en plus les frustrations s’incrustent dans leur champ, se sentant en marge de la société, avec un chômage massif, une pauvreté chronique et corrosive, une crise de perspective de vie, une sous-éducation entretenue, une exclusion dans les politiques prioritaires du pays, etc.

En fin, des intérêts divergents en confrontations, il s’agit des rivalités, des compétitions, des guerres de positions et des tranchées, de désir de gagner un maximum qui se mue en désir de l’emporter sur l’autre, à tel point qu’on est incapable de réfléchir ensemble à une solution gagnant-gagnant. Dans ce cas d’espèce, la dimensionéconomique des conflits qui sévissent la partie Est de la RDC prend son sens. Il s’agit de l’entretien des intérêts mesquins par des grandes firmes internationales assoiffés des matières précieuses du sous-sol congolais (cobalt, coltan, or, cuivre, etc.) et qui créent des guerres par procuration, alimentent les groupes armés pour pérenniser leur mainmise sur ces ressources. Cela est également lié en partie à une fiscalité nationale à lambeau qui décourage les investissements dans une orientation officielle et bénéfique pour tous. Premier producteur mondial de cobalt avec 100 mille tonnes par an, premier producteur africain du cuivre, etc. mais le pays peine toujours à tirer profit de ses mines. Déjà 70% de toutes ces richesses appartiennent dès la sortie du sous-sol à ces firmes internationales Suisse, Chinoises, Sud-africaine, etc. Et le 30% considéré comme issu de l’exploitation artisanale par les locaux, est réellement toujours entre les mains des autres ; déjà 80% appartient aux chinois, 15% aux libanais, et 5% aux indiens. La population congolaise au finish n’a rien de ses ressources naturelles. Le développement durable du pays reste en somme dans l’ordre de l’illusion.

Face à ces trois SOURCES des conflits trois COMPETENCES s’avèrent fondamentales pour la méthode C-R-I-T-E-R-E dans l’entré en processus vers une transmutation du conflit en possibilité de cohésion forte, c’est notamment :

Le CADRE DE DROIT comme réponse à l’existence des structures déficientes. Ceci renvoi à une ferme autorité à même de définir et faire respecter les réglementions établies pour la régulation de l’ordre sociale, et qui met hors-la-loi les violences inacceptables et les tactiques malicieuses de prise de pouvoir des uns sur les autres. Il s’agit au fond d’un processus officielle et parfois officieuse de renforcement de la cohésion du groupe pour déjouer les tentatives de domination ou d’exploitation des failles de la loi. Ici la visé est d’arriver à la gestion du conflit, pour que ce dernier n’arrive pas à déborder les limites du cadre de droit, parce qu’il en fixe les niveaux infranchissables d’expression, ainsi que des règles du jeu pour en diminuer l’ampleur progressivement et réarticuler à nouveau les liens sociaux.

La COMMUNICATION VRAIE comme réponse à des vécus dévalorisés. Elle fait appel à l’intelligence émotionnelle qui dénoue les vécus difficiles. Sa force tient dans l’empathie et la bienveillance qui déjouent les paroles poisons, en entendant derrière les jugements et les reproches, des sentiments et des besoins non satisfaits. La visée derrière est l’amélioration de la qualité de la relation. La visée à ce niveau est la transformation du conflit qui est une opération dont est capable la communication vraie, il s’agit de décoder l’agressivité qui vient d’une frustration, traduire les paroles-poisons en préoccupations légitimes. Il est question d’aller au cœur des personnes om s’accomplissent les changements les plus décisifs. Allant de l’intérieur vers l’extérieur.

La NEGOCIATION EFFICACE comme réponse intérêts divergents en confrontations. Cette négociation déploie une intelligence rationnelle qui recadre systématiquement l’échange sur la prise en compte des intérêts en présence. Son ressort d’efficacité tient dans la capacité à inventer, à imaginer des solutions nouvelles. Elle obtient des engagements libres et responsables, un bon accord, c’est-à-dire un accord judicieux, satisfaisant au mieux les besoins de chacun. La visée ici derrière est la résolution du conflit relevant de la compétence de négociation, qui fait passer des désaccords à des accords. Son critère de réussite est de solutionner le mieux possible le problème en jeu.

Pour le coordonnateur de JAMAA Grands Lacs cette formation était une belle opportunité de remise en question des approches d’action de son organisation intervenant dans la consolidation de la paix et la transformation positive des conflits dans la partie Est de la RD Congo.

« Nous sommes dans une région ayant connue plusieurs années de tension, de déchirement des liens sociaux, des guerres interethniques ayant sensiblement brisée la confiance entre individus et communautés, et mettant en mal les possibilités d’un vivre ensemble harmonieux, fertile et porteur. Face à ce tableau, s’impose à nous la nécessité d’une recherche assidue des outils pouvant contribuer à intervertir l’ordre de chaos en force de vie et pulsion d’humanité. Et cette formation nous a beaucoup donner des éléments qui vont sans nul doute féconder nos approches d’intervention au sein de nos communautés » A-t-il dit Nicolas Mumbere Sivihwa.  

Une autre formation est prévue au courant de l’année 2023.

info@jamaa-grands-lacs.org